15/09/2022 – 27/11/2022
En bonne compagnie ! Portraits collectifs du Familistère et du CRP/
Marie-Jeanne Dallet et Kasimir Zgorecki
Marie-Jeanne Dallet (1872-1941)
par Hugues Fontaine
Marie-Jeanne Dallet est née au Familistère de Guise le 27 décembre 1872, où elle a grandi et reçu son éducation. Sa mère, Émilie Dallet, y est directrice des écoles. Sa tante, Marie Moret, qui, selon ses propres mots, la considère comme sa fille, est la collaboratrice du fondateur du Familistère, Jean-Baptiste André Godin, puis sa compagne, son épouse et devient sa veuve lorsque le grand homme décède soudainement le 15 janvier 1888 des mauvaises suites d’une opération chirurgicale. Marie-Jeanne a perdu son père, Pierre-Hippolyte Dallet, capitaine au long cours, à l’âge de dix ans. C’est dire qu’elle a été élevée par ces deux femmes dont la vie est tout entière consacrée à l’œuvre de Godin.
Lorsqu’elle a vingt-quatre ans, Marie-Jeanne, qui cultive déjà la musique et la peinture, s’initie à la photographie. Elle apprend l’art de photographier auprès d’un professionnel à Nîmes, en compagnie d’Auguste Fabre, ami très proche de sa tante, chez qui elle a pris l’habitude d’aller passer les hivers, accompagnée de sa sœur et de sa nièce.
Fabre se consacre au développement et à la propagande du mouvement coopératif français et il pense que la présentation d’exemples concrets au moyen de projections de photographies est un excellent moyen de le faire. La pratique d’illustrer des conférences par le moyen d’une lanterne de projection est devenue un mode populaire et attractif d’enseignement.
C’est Marie-Jeanne qui va rassembler la collection photographique dont Fabre a besoin. Elle va ainsi photographier le Familistère, ses bâtiments, son usine, les écoles et la crèche, les services annexes (magasins d’économat, lavoir, etc.), sans oublier la succursale de Laeken-lez-Bruxelles, en Belgique.
Aux qualités d’exactitude et de représentation vivante que demande ce matériau photographique destiné aux conférences, Marie-Jeanne en ajoute une, certainement supérieure, d’empathie pour le sujet et les personnes qu’elle photographie. On observera en particulier à travers cette exposition la manière dont elle photographie les femmes, faisant œuvre, par sa conviction autant que par sa sensibilité, de défendre et illustrer le rôle de ses congénères dans le monde social.
L’œuvre photographique de Marie-Jeanne Dallet est une redécouverte récente. Grâce à l’étude de la correspondance de Marie Moret, entamée il y a deux ans au sein du projet FamiliLettres, plus de 350 photographies, autrefois anonymes, lui sont désormais attribuées. Les recherches se poursuivent sur cette femme, pacifiste et féministe active décédée à Versailles le 1er décembre 1941, dont la biographie est encore à écrire.
Kasimir Zgorecki (1904-1980)
D’origine polonaise, Kasimir Zgorecki est né en 1904 en Rhénanie-Westphalie (Allemagne) où il reçoit une formation de chaudronnier. En 1922, sa famille émigre en France et s’installe dans la cité minière de Rouvroy (Pas-de-Calais). Comme la majorité des immigrés polonais, Kasimir devient mineur à la fosse de Billy-Montigny. François Kmieczak, son beau-frère, va l’initier à l’art de la photographie. Il possède un petit studio photographique-librairie à Rouvroy qu’il décide de céder à Kasimir en 1924. Kasimir Zgorecki se lance alors à vingt ans dans le commerce et l’activité de photographe portraitiste.
Jusqu’en 1957, Kasimir réalise des milliers de portraits de la diaspora polonaise du bassin minier de Rouvroy pour laquelle il apparait comme le photographe attitré, parlant couramment le polonais et l’allemand. Ses photographies illustrent de grands moments de partage comme les manifestations festives ou religieuses, les compétitions sportives, mais aussi des instants d’intimité familiale. De grands portraits collectifs aux portraits vignettes pour documents administratifs, la qualité du travail de Kasimir participe du succès de son commerce et de la confiance témoignée par sa communauté.
Photographe populaire, Kasimir n’a laissé aucune trace écrite de sa pratique et n’a jamais souhaité être publié. Conservées dans un cadre privé, ses photographies sont parfois envoyées en Pologne pour donner des nouvelles à la famille restée au pays. Elles informent de l’ascension sociale des un.es, de la réussite financière des autres. Elles donnent à voir l’intégration de cette population immigrée de la Petite Pologne, tout en montrant des rémanences du pays d’origine : devantures écrites en polonais, omniprésence de la religion...
En 1990, Frédéric Lefever redécouvre plus de 5 000 négatifs sur plaques de verre du studio Zgorecki, archivées dans un grenier. Ces photographies ont fait l’objet de retirages modernes actuellement conservés par le CRP/ et déjà présentés au grand public à Tours par le musée du Jeu de Paume (2020) ou encore au Louvre-Lens (2019).
Notice créée le 16/08/2022.