Des machines à habiter ensemble aux XXe et XXIe siècles
L’expérimentation du Familistère n’a pas, à proprement parler, de postérité. Son architecture est pourtant annonciatrice des recherches dans le domaine du logement collectif aux XXe et XXIe siècles. Des Pays-Bas à Moscou et Tokyo, voici quelques exemples remarquables d’habitations « unitaires ».
Habitations unitaires
Le Familistère est une formidable « machine à habiter ensemble », pour paraphraser la formule que Le Corbusier applique en 1923 à la maison moderne. L’organisation de l’habitation collective y est rationalisée ; les fonctionnalités des équipements sont réfléchies en détail pour l’augmentation du bien-être ; les logements individuels et les généreux espaces communs sont soigneusement articulés ; l’économie spatiale et sociale de l’habitation repose sur la diversité des services collectifs à la disposition d’une population suffisamment nombreuse. Le Familistère doit contribuer à produire de l’unité sociale ; son palais est conçu comme un « condensateur social » suivant l’expression utilisée en 1928 par l’architecte constructiviste Moïseï Ginzbourg pour décrire la mission de l’architecture dans la révolution soviétique : accélérer la transformation des rapports sociaux.
Aux XXe et XXIe siècles, dans différentes régions du monde, des maîtres d’ouvrage et des architectes, ceux du mouvement moderne en particulier, tentent de mettre au point des modèles d’habitation collective efficaces sur le plan social, sanitaire ou urbain. Ces nouvelles machines à habiter destinées à former des communautés d’habitation restent des exceptions dans la production de logements collectifs. Des expérimentations, admirées et décriées. Comme le Palais social de Guise, certaines « machines » – celle de Firminy par exemple – sont conçues avec des ensembles urbains riches en équipements collectifs. Mais l’immeuble-quartier, le village vertical ou la maison communautaire contiennent des services collectifs et des espaces publics qui lui confèrent une certaine autonomie sociale. Les programmes concernent aussi bien les classes populaires que les classes moyennes, des travailleurs, des fonctionnaires ou des étudiants, des familles de tailles diverses. C’est pour les architectes et les habitants l’occasion de faire l’expérience d’une nouvelle organisation de la cellule d’habitation, d’une imbrication originale de l’espace privé et des espaces communs, d’une sociabilité enrichie et d’une esthétique du logement en rupture avec les traditions.
Bloc Justus van Effen
Bloc Justus van Effen à Spangen (Rotterdam, Pays-bas).
Construit de 1916 à 1921.
Maître d’ouvrage : services du logement de la Ville de Rotterdam.
Maître d’œuvre : Michiel Brinkman, architecte.
Logements et services.
Le « bloc » comprend 264 logements de 17 types différents pour familles d’ouvriers et de fonctionnaires. Il est organisé autour d’une grande cour intérieure séparée en deux par une aile abritant les services collectifs : douches, bains et magasins. Les unités d’habitation sont distribuées sur plusieurs niveaux et ont toutes leur entrée sur la cour. Une rue-galerie suspendue, accessible par 7 escaliers et un ascenseur, dessert la totalité des logements au deuxième étage.
Surface nette de l'îlot : 24 400 m2.
Maison commune Narkomfin
Moscou (Fédération de Russie).
Construite de 1926 à 1930.
Maître d’ouvrage : Nikolai Milyutin, commissaire du peuple aux finances de l’Union soviétique.
Maître d’œuvre : Moïseï Ginzbourg et Ignaty Milinis, architectes ; Sergei Prokhorov, ingénieur.
Logements et services.
La maison commune comporte 50 logements réservés aux fonctionnaires du commissariat des Finances de l'Union soviétique. elle est reliée par un passage fermé à une construction affectée aux services communs qui comprend notamment salles de gymnastique et de lecture, blanchisserie et réfectoire. La construction d’un troisième bâtiment abritant une crèche ne fut jamais menée à bien.
Surface nette de l'îlot : 1 100 m2.
Siedlung Halen
Herrenschwanden (Berne, suisse).
Construit de 1955 à 1961.
Maître d’ouvrage : Ernst Göhner AG.
Maître d’œuvre : Atelier 5 architectes.
Logements et services.
Située dans une clairière, la cité en copropriété comprend 79 logements familiaux rassemblés en 5 blocs d’habitation étagés en fonction de la déclivité du terrain. L’ensemble est organisé autour d’une « place de village » arborée, vers laquelle convergent des ruelles de liaison en partie couvertes. seule la rue centrale est accessible en voiture. Un parking de 70 places avec station-service se situe sous les jardins suspendus du bloc supérieur. Les habitations comportent 3 niveaux avec loggia, terrasse, jardin et atelier pour certains. Une centrale associée à la buanderie distribue eau chaude et électricité. Un magasin et un restaurant ouvrent sur la place et dans le parc se trouvent une piscine et un terrain de sport.
Surface nette de l'îlot : 31 000 m2.
Unité d’habitation
Firminy (Loire, France).
Construite de 1965 à 1967.
Maître d’ouvrage : Office public des habitations à loyer modéré de Firminy.
Commanditaire : Eugène Claudius-Petit, maire de Firminy et président de l’OPHLM.
Maître d’œuvre : Le Corbusier et André Wogenscky, architectes ; Fernand Gardien, architecte ; Georges Présenté, ingénieur.
Logements et services.
L’Unité d’habitation de Firminy est mise en chantier trois ans après l'achèvement de l'Unité d'habitation de Marseille. Elle est prévue pour accueillir 1 800 habitants et comporte 414 logements HLM de 32 types différents du t2 au t6, dont des duplex. Le bâtiment comprend 17 niveaux d’habitation desservis par 7 rues intérieures. Les 3 niveaux supérieurs sont occupés par une crèche et une école maternelle. La cour de récréation de l’école maternelle s’ouvre sur le toit-terrasse, qui rassemble également des équipements publics : des solariums orientés à l’est et à l’ouest, une piscine et un théâtre de plein air.
Surface nette de l'îlot : 3 000 m2.
Nakagin Capsule Tower
Tokyo (Japon).
Construit de 1971 à 1972.
Maître d’ouvrage : Nakagin Mansion Corporation.
Maître d’œuvre : Kisho Kurokawa, architecte.
Logements et services.
Cette résidence en copropriété est conçue pour apporter une solution de logement individuel économique aux hommes d’affaires séjournant à Tokyo. L’édifice comprend 140 capsules de 10m2 meublées et équipées. Elles sont greffées en spirale sur deux tours contenant escaliers, ascenseurs et réseaux techniques. Les cellules peuvent se combiner entre elles pour créer des espaces plus importants susceptibles d’accueillir une famille, elles peuvent également se remplacer facilement si besoin est. Au niveau de la rue se trouve un hall à usages multiples. Le premier étage abrite des espaces de bureaux.
Surface nette de l'îlot : 430 m2.
Walden 7
Sant Just Desvern (Barcelone, Espagne).
Construit de 1970 à 1975.
Maître d’ouvrage : CEEX3 SA, filiale de la Banco Industrial de Cataluña.
Maître d’œuvre : Ricardo Bofill et le taller de Arquitectura.
Logements et services.
L’édifice est bâti sur le site d’une ancienne cimenterie, autrefois à l'écart de Barcelone. son nom fait référence à l'utopie individualiste de Henry David Thoreau dans la solitude de Walden, or, Life in the Woods (Thoreau, 1854) et à celle du psychologue Burrhus Frederic Skinner dans sa fiction Walden Two (1948) d'une communauté rurale parfaitement contrôlée. Walden 7 comprend 446 logements pour environ 1 000 résidents. Les appartements sont constitués de 1 à 4 modules élémentaires de 30 m2 de surface. Ils sont assemblés en grappes de 14 niveaux autour de 5 cours intérieures. Cette « casbah dans l’espace » contient aux étages inférieurs des lieux publics et de convivialité, des salles de jeux, des bars, des commerces et deux piscines sur le toit-terrasse.
Surface nette de l'îlot : 5 250 m2.
Tietgenkollegiet
Copenhague (Danemark).
Construit de 2002 à 2006.
Maître d’ouvrage : Fondation Tietgenkollegiet.
Maître d’œuvre : Boje Lundgaard et Lene Tranberg, architectes.
Logements et services.
Cette résidence universitaire, inspirée par l’architecture des maisons communautaires Tulous de l’est de la Chine, se compose de 360 logements de 26 à 33 m2. Ils sont répartis sur 6 étages, comprenant chacun 5 blocs de 12 logements. Dans chaque bloc, les étudiants trouvent des espaces communs : une grande cuisine, une salle de séjour et une buanderie. Les pièces d’habitation donnent sur l’extérieur tandis que les services s’ouvrent sur la cour intérieure circulaire. Au rez-de-chaussée sont situés : une salle informatique, des salles d’études, un auditorium, des commerces, un bar, une laverie et un garage à vélos.
Surface nette de l'îlot : 6 400 m2.
Pour aller plus loin :
L’album du Familistère, Guise, Les Éditions du Familistère, 2017, p. 488-505.
Notice créée le 19/09/2017. Dernière modification le 10/01/2019.