16 juillet 2018
L'épreuve du feu
Le 25 juin 2018 a eu lieu l’essai de stabilité au feu des pavés de verre choisis pour restaurer le plancher des coursives de l’aile gauche du Familistère. Le moment était important : du résultat de l’essai dépendait entièrement le projet de restauration des circulations du bâtiment reconstruit après 1918.
Un plancher de verre
À l’origine du projet se trouve une image. Un film amateur 16 mm tourné vers 1955-1960, pendant une fête du Travail, montre la lumière naturelle traverser le sol de la coursive du premier étage de la cour de l’aile gauche du Palais social. Le plancher des coursives était donc translucide. En 1923, la Société du Familistère avait choisi la solution d'un pavement en verre pour diffuser la lumière sur les façades de la cour et mieux éclairer les pièces des appartements. Dans les années 1960, on avait remplacé le revêtement d’origine du sol des coursives par un carrelage en grès. Grâce au film, nous avions une preuve indirecte de l’existence antérieure d’un revêtement en verre. Mais de quoi était-il composé ? Aucune archive, aucune photographie ne donnait quelque indication que ce soit.
Une enquête d’architecture
Les études de restauration du monument historique conduites par h2o architectes et Équilibre Structures, en 2015-2016, se sont apparentées, sur ce sujet, à une véritable enquête. Faire l’archéologie du bâti, étudier l’usage du verre dans des architectures contemporaines de l’aile gauche, rechercher les produits commercialisés par l’industrie du verre dans les années 1920-1930, interroger les fabricants actuels… jusqu’à interviewer madame Simone Dorge, ancienne habitante de l’aile gauche. Le témoignage de cette dernière s’est avéré précieux. Simone Dorge a connu les sols en pavés de verre et leur remplacement par des carreaux de grès. Elle a même conservé pendant longtemps un exemplaire de pavé, aujourd’hui malheureusement introuvable. Le témoignage a permis de confirmer l’hypothèse d’un plancher d’origine formé par une structure métallique à trame carrée, supportant des pavés de verre incolores de 19,5 cm de côté, évidés en cercle sur le dessous. Le matériau, du type des dalles « Nevada » des années 1930, est connu aujourd’hui sous le nom « brique de verre Le Corbusier 1933 », car il a été utilisé pour la restauration en 2010 des parois de verre du Pavillon suisse de la Cité internationale universitaire à Paris, construite en 1933 par l’architecte Le Corbusier.
30 minutes, 800 degrés
Une fois le pavé de verre identifié, il restait un obstacle – de taille – à surmonter. La brique de verre « Le Corbusier 1933 » répond aux normes pour la construction de structures verticales. Il fallait démontrer qu’elle pouvait être employée au sol et satisfaire les exigences de résistance aux charges et, surtout, au feu. Les coursives de la cour de l’aile gauche doivent en effet permettre l’évacuation du public du futur hôtel en cas d’incendie. Elles doivent donc être qualifiées « pare-flammes 30 minutes », c’est-à-dire ne pas laisser passer les flammes et les fumées pendant cette durée. Le prototype d’une section de coursive a été élaboré selon les préconisations de la maîtrise d’œuvre par l’entreprise ADECO, en lien avec l’entreprise Dumanois, chargée de la restauration des coursives. Un long travail de mise au point à la fois technique et esthétique a été nécessaire pour définir les profils de la structure métallique de support des pavés, les épaisseurs de peinture intumescente assurant sa protection ou le complexe du pavé de verre et des joints qui le maintiennent dans la trame métallique. ADECO avait la responsabilité de soumettre le prototype à un essai de stabilité au feu. L’essai a eu lieu le 25 juin 2018 dans le laboratoire de la société Efectis à Maizières-les-Metz, près de Metz, sous les yeux de Charlotte Hubert (h2o architectes) et des représentants du Familistère et d’ADECO. Le prototype étant chargé à 400 kg / m², le pavé de verre et ses joints devaient résister pendant 30 minutes à une température dépassant les 800 degrés. Inutile de dire qu’en raison de l’enjeu, la tension était forte parmi les spectateurs, et que les minutes se sont égrainées particulièrement lentement.
7 248 pavés de verre
Le résultat a été heureux : le comportement des pavés de verre, soumis à une chaleur intense, a satisfait les critères de résistance, de déformation et d’étanchéité. Les coursives de l’aile gauche du Palais social vont pouvoir retrouver leur plancher translucide, la cour va bénéficier d’une lumière naturelle de plus grande qualité et les pièces d’habitation donnant sur la cour vont s’éclairer d’un jour plus important. Le résultat devrait être très spectaculaire. Il ne reste qu’à recouvrir les trois niveaux de coursives de 7 248 pavés de verre !
Prochain épisode : la fabrication des briques de verre.