29 janvier 2019
Un Familistère en Colombie ?
À quelque 9000 km de Guise, en Colombie, le Palais social fait des émules. Écoles aux méthodes d’éducation innovantes, roseraie en coopération, la Fondation Merani, installée à Bogota, réinvente l’expérience familistérienne.
« Le Familistère est fait pour être vu et étudié » (lettre de Jean-Baptiste André Godin à Tito Pagliardini, écrivain et traducteur fouriériste, 24 juin 1885)
Dans le cadre de ses recherches en matière d’innovation éducative et pédagogique, Alejandro de Zubiria, directeur général de la Fondation Alberto Merani et psychologue de l'Université de Los Andes, découvre, au gré de ses lectures, l’expérience familistérienne. Les principes éducatifs du Palais social l’intriguent d’abord puis le passionnent. À tel point que l’idée de construire un Familisterio educativo germe rapidement dans son esprit.
En juillet 2015, nous le recevons au Familistère. Au terme d’une journée de découvertes, de questionnements et d’échanges avec une partie de notre équipe, l’aventure des Megaulas Cohete (comprendre « accélérateurs de connaissance ») est définitivement lancée.
Alejandro, qui s’amuse à se présenter comme l’héritier spirituel de Godin, nous quitte un peu triste mais « ressourcé », comme il l’explique. Nous suivrons alors à distance l’évolution de l’adaptation colombienne du projet familistérien. Une aventure par procuration passionnante !
La Pédagogie conceptuelle : un autre mode d’éducation
Faciliter l’accès à l’éducation tout en développant des programmes visant à améliorer la qualité pédagogique, en trois décennies de recherches, Miguel de Zubiría et Georgie Ragó de Zubiría, créateurs de la fondation Alberto Merani, ont pu élaborer et appliquer leur propre modèle pédagogique : la Pédagogie Conceptuelle.
La Pédagogie Conceptuelle développe les compétences intellectuelles des élèves tout en s’appuyant sur leurs talents et passions. Un objectif qui fait écho aux principes d’éducation fouriéristes mis en pratique au Familistère par Godin. Aujourd’hui, la Fondation Alberto Merani applique ce modèle pédagogique dans les quelque 200 écoles qu’elle a créées à travers la Colombie.
Les Megaulas Cohete forment les innovateurs de demain
À ce jour, en plus des 200 écoles qu’elle a financées, la Fondation Merani a déjà créé 5 Megaulas Cohete en Colombie. Le plus important se trouve à Sogamoso. Les autres se trouvent à Bogota, Armenia et Nemocón. En tout, ce sont près de 9 000 élèves qui profitent gratuitement de ces équipements hors du commun.
Ces pôles éducatif novateurs brisent les codes. Lorsqu’il les imagine, Alejandro de Zubiria souhaite que ces « accélérateurs de connaissance » se détachent totalement des modèles éducatifs des XIXe et XXe siècles. Les élèves n’y sont pas classés par niveau mais par talent, qu'il soit sportif, artistique ou intellectuel. La forme même de ces salles de classes futuristes n’a rien de conventionnel : de grands dômes colorés, comme venus d’ailleurs.
Outre les matières d’enseignement classiques, dans ces gigantesques dômes éducatifs, on apprend également l’auto-motivation et la rigueur. Les plus doués motivent les autres qui ont alors « ce désir d’y arriver » comme le précise Alejandro. L’objectif des Megaulas Cohete est, bien sûr, de développer les compétences intellectuelles des élèves mais aussi de développer leurs compétences affectives. Aussi, l'empathie, la confiance en soi, le respect et la faculté d'écoute de l'autre... sont autant d'aptitudes favorisées lors d'ateliers dispensés dans ces structures éducatives hors du commun. Alejandro estime que grâce aux Megaulas Cohete et au principe de Pédagogie Conceptuelle, le niveau éducatif des petits Colombiens aura rattrapé celui des élèves des pays développés d’ici 10 ans. Selon lui, la Fondation Merani contribue à la « formation des innovateurs de demain ». Là encore, le concept rappelle les principes d’éducation intégrale fouriériste dont le but est bien de former l’homme nouveau pour une société nouvelle.
L’expérience de Nemocón est la plus aboutie
Inauguré fin 2015, le Megaulas Cohete de Nemocón est le premier du genre. C’est aussi le plus abouti et peut-être la plus familistérien de tous.
Ce Megaulas Cohete est installé près d’une roseraie rachetée par la fondation fin 2014 ; la Colombie n’est pas célèbre que pour son café, c’est aussi le deuxième pays exportateur de fleurs au monde. Depuis peu, la roseraie est autogérée par la cinquantaine d’employés y travaillant. Comme pour l’Association coopérative du Familistère, une redistribution des produits du capital et du travail s’opère. La vente de roses permet ici le financement de la structure éducative. Les équipements, le personnel ainsi que les repas du midi sont ainsi pris en charge. Les parents scolarisant leurs enfants dans les Megaulas Cohete ne déboursent donc pas un peso. Pour Alejandro de Zubiria, les Megaulas Cohete doivent fournir gratuitement enseignements et services de qualité.
Si le Megaulas Cohete de Nemocón vit en autofinancement, ce n’est pas le cas des autres. Mais le projet éducatif de la fondation et ses objectifs ont su convaincre le gouvernement colombien. Les quatre pôles construits après celui de Nemocón (et ceux à venir !) profitent d’une subvention de l’État d’environ 70% de leur budget annuel de fonctionnement, le reste étant financé par la Fondation Merani. Mais Alejandro de Zubiria espère bien reproduire l’exemple de Nemocón !
De l’éducation intégrale à la Pédagogie Conceptuelle, il n’y a qu’un pas de 9000 km et de 170 ans. Découvrez le concept éducatif fouriériste mis en pratique au Familistère au XIXe siècle :
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