29 avril 2020

Récits du Familistère au temps du Coronavirus Dans l'escalier

L’épidémie de Coronavirus apparue en janvier 2020 provoque un état d’urgence mondialisé qui confine l’humanité, mais qui ne peut suspendre la pensée et le désir d’une société alternative dont chacun·e conçoit bien l’extrême nécessité. Nous rongeons notre frein, mais pas seulement. Beaucoup d’entre nous s’appliquent à réfléchir à l’état de défiance et s’emploient à le surmonter. Plusieurs fois par semaine de confinement, le Familistère invite une personnalité, géographe, historien·ne, artiste, architecte, sociologue, écrivain·e, entrepreneur/euse ou médecin, à proposer la lecture d’une image du Familistère dans le contexte de l’épidémie et de ses conséquences sociales et politiques.
Aujourd'hui, Georges Rousse, photographe et plasticien.

CONFINÉ SEUL DANS CET ESPACE QUASI MYSTIQUE, IL IMAGINE LES ŒUVRES COMME DES ACTIONS SURHUMAINES…

Vue d'un cercle jaune tracé sur une photographie d'escalier

Montage de Georges Rousse à partir d'une photographie de Hugues Fontaine (un escalier de l'aile droite du Palais social, 2002).

Imaginons un bâtiment de trois étages de briques rouges surmonté dans son angle principal par une verrière toute en acier et lumière, abandonné depuis longtemps après que les propriétaires soient partis, laissant l’utopie aux survivants qui, plus terre à terre, ne virent qu’un moyen de s’enrichir rapidement.

Dans le village, un artiste, fruit de l’éducation du Familistère, ou d’une génération de l’Utopie, y voit l’opportunité d’en faire son atelier où il transformerait le réel, bien dégradé, du site pour faire l’expérience du vide, de l’espace et de la couleur. Il utiliserait la peinture qui recouvrirait les murs, le sol, les verrières, bref tout ce qu’il est possible de peindre entrant dans son projet, établissant une complicité entre la peinture et l’architecture à la manière de celle existant dans les églises italiennes de la Renaissance.
Justement, dans les églises, il s’y sent bien, dominé par la monumentalité, les formes et surtout la lumière. Ainsi, dès que possible il entre dans ces lieux qui racontent une histoire étrangère à ses préoccupations plastiques, pour s’y confronter, regarder l’incidence de la lumière sur l’architecture ainsi mise en évidence. Là, quelque part, il s’arrête pour jouir du silence, de la solitude et comme le moine zen, rapidement, il communie avec le vide, le Cosmos, les sens en retrait du quotidien et l’envie de traduire cette énergie naissante par une œuvre née spontanément.

Il est souvent fasciné par les escaliers qui permettent le passage d’un état vers un autre ; il s’élève pour aller vers la lumière des étages supérieurs. Ici, par chance, la lumière se diffuse à tous les niveaux, uniformément.

Du plus haut, il voit les courbes des mains courantes elliptiques se rapprocher puis descendre vers la lumière rasante du sol.

Cette vision verticale attire notre artiste qui décide d’y dessiner un cercle comme un puits qui montrerait la réalité des matériaux tout en créant un vide vertigineux, tandis que tous les contours du cercle seraient peints d’un jaune très saturé ou même matérialisé par des feuilles d’or afin d’éloigner le plus possible le réel de sa réalité, créant ainsi un tableau abstrait, sorte de collage de divers éléments physiquement reconnus.

L’espace choisi est vide d’humain, comme l’atelier de l’artiste qui ne peut être un lieu public. Confiné seul dans cet espace quasi mystique, il imagine les œuvres comme des actions surhumaines qui dépasseront toute la logique de l’architecture qui, contrainte, s’adaptera aux hommes et à ses besoins.

Son projet ayant maintenant des contours, il médite encore un instant avant d’entreprendre seul son action, avec l’unique but de mettre en évidence l’harmonie et la lumière du lieu, qu’il qualifie de divine.

Georges Rousse

Georges Rousse est un artiste qui associe photographie, peinture, sculpture et architecture dans des œuvres monumentales d’une puissante poésie. La reconnaissance internationale dont jouit son travail le conduit à créer des œuvres dans le monde entier, en Europe, en Asie, en Inde, en Amérique du Nord et du Sud. Il était artiste invité au Familistère de Guise en 2015, pour une résidence de création mémorable à plus d’un titre.

La photographie de l'escalier qui sert de support au montage de Georges Rousse a été réalisée dans le cadre d'une commande photographique sur le Familistère confiée à Hugues Fontaine en 2002-2003 et qui a en partie été publiée dans Les Lettres du Familistère, par Jean-Baptiste André Godin et Hugues Fontaine (Les Éditions du Familistère, 2008, réédition en 2011).