16 avril 2020

Récits du Familistère au temps du Coronavirus L'arroseur

L’épidémie de Coronavirus apparue en janvier 2020 provoque un état d’urgence mondialisé qui confine l’humanité, mais qui ne peut suspendre la pensée et le désir d’une société alternative dont chacun·e conçoit bien l’extrême nécessité. Nous rongeons notre frein, mais pas seulement. Beaucoup d’entre nous s’appliquent à réfléchir à l’état de défiance et s’emploient à le surmonter. Plusieurs fois par semaine de confinement, le Familistère invite une personnalité, géographe, historien·ne, artiste, architecte, sociologue, écrivain·e, entrepreneur/euse ou médecin, à proposer la lecture d’une image du Familistère dans le contexte de l’épidémie et de ses conséquences sociales et politiques. Aujourd'hui, matali crasset, designer.

L’ARROSEUR ANONYME, LE DESIGNER ANONYME

Vue de l'arrosage de la cour de l'aile gauche.

Arrosage de la cour de l’aile gauche du Palais social. Photographie anonyme, vers 1900. Collection Familistère de Guise (inv. n° 2016-7-1.11)

J’aime cette image qui pourrait donner un certain éclairage sur la situation d’aujourd’hui.

Un homme est seul dans un lieu conçu en fait pour créer une communauté.

Un lieu pour les fêtes et notamment la fête du premier mai qui, pour cause de Coronavirus et pour la première fois de l’histoire du Familistère, ne va pas pouvoir se dérouler.

Où est la communauté ? Que reste-t-il de ses rituels si elle ne peut plus se rencontrer ?

Il est fort à parier que là encore la typologie d’espaces créée par Godin réussira à montrer ses effets. Les habitants pourraient rester dans leur appartement et en laissant les portes ouvertes garder un contact visuel avec les voisins ou même en se posant sur le balcon tel qu’on le voit sur la photo.

Cette photographie anonyme de l’intérieur de l’aile gauche du Palais social m’a fait penser à la scène célèbre du film des frères Lumière L’arroseur arrosé de 1895. On sait que le Palais social irrita en arrosant les conventions bourgeoises de la ville d’en bas. Car, entre autres, les conditions de vie confortable des sociétaires, surnommés les « Fiers » étaient très souvent supérieures à celles des Guisards, les gens d’en bas qui ne possédaient ni l’eau courante, le chauffage…

On notera avec malice que le développement de la cité Frugès à Pessac, réalisé par Le Corbusier et surnommé le « rigolarium » connaîtra la même méfiance des habitants qui se traduira par toutes sortes de tracasseries administratives ; même avec un commanditaire exigeant et passionné, Henry Frugès, qui adoucira les plans du “fada”. La bourgeoisie de Pessac voyait d’un mauvais œil ce confort (eau courante, chauffage…) offert aux nouveaux occupants, dont elle ne bénéficiait pas, et bloquera pendant plusieurs années l’installation du réseau d’eau.

Godin annonce l’eau et le gaz à tous les étages. Ce qui m’a toujours fasciné dans Godin, c’est la pensée globale où les détails et le tout ne forment qu’un.

Godin n’était pas architecte, néanmoins il pense l’habitat, les lieux de vie et de partage (école, théâtre, piscine…). Il n’était pas designer mais il dessine des mobilier divers, et notamment les poêles… et se soucie de pédagogie et d’éducation, en relation avec la question du travail.

Godin a une pensée globale comme Rudolf Steiner ou Jane Addams qui sont des personnalités importantes dans mon panthéon personnel.

 

matali crasset

matali crasset est designer. Son travail jouit d’une reconnaissance internationale. Le design est pour elle d’essence anthropologique et ses créations d’objets et d’espaces sont souvent animées par une recherche d’innovation sociale. D’où son intérêt pour le Familistère, qu’elle connaît bien.